08/12/2025

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PLANCHE : LA DUALITÉ

INTRODUCTION

Le pavé mosaïque, symbole fondamental du premier degré, semble à première vue une représentation simple : l’alternance du noir et du blanc, du visible et de l’invisible, du vrai et du faux. Pourtant, dès que l’on s’y attarde, ce symbole s’ouvre sur une profondeur vertigineuse. La dualité qu’il exprime n’est pas seulement binaire ; elle est abyssale, fertile, traversée de nuances, et même habitée d’un « ciment » invisible qui relie les contraires.

LA DUALITÉ APPARENTE : LE MONDE EN DEUX COULEURS

Le pavé mosaïque représente d’abord la dualité : lumière et obscurité, bien et mal, ignorance et connaissance. Comme le disent plusieurs auteurs maçonniques — notamment Jules Boucher dans “La Symbolique Maçonnique” — la dualité est une étape nécessaire dans la structuration de l’esprit. Elle offre un cadre clair, une première grille de lecture.

Cette étape binaire est pédagogique. Elle prépare l’apprenti au discernement. Elle lui apprend que tout acte, toute pensée, peut être passée à l’équerre. Ainsi, la dualité n’est pas une description complète du monde, mais un outil initiatique.

LE « GRIS » INVISIBLE : NUANCES, LIENS ET CONTINUITÉS

Hier en tenue, il fut évoqué que le ciment qui unit les pierres serait gris. Le gris ne figure pas sur le pavé, mais il rend pourtant possible le pavage lui-même. Cette idée est extrêmement riche.

Car si le noir et le blanc sont visibles, le gris est sous-jacent, implicite. Il symbolise :

la nuance,

le compromis,

la continuité entre les contraires,

le champ des possibles entre deux extrêmes.

La science moderne confirme que ce que nous percevons n’est jamais la totalité du réel.

Nous savons que la lumière visible par l’homme représente moins de 1 % du spectre électromagnétique. Cela signifie que notre perception est littéralement construite sur une minuscule portion du réel.

De même, le pavé mosaïque ne montre que deux couleurs. Le reste — les nuances — est invisible.

Mais invisible ne signifie pas inexistant.

Ainsi, la dualité visible repose sur une infinité de possibles non représentés.

L’alternance

Le pavé mosaïque n’est pas une simple juxtaposition de noir et de blanc ; il est une alternance répétée. Cette répétition n’est pas décorative : elle exprime le rythme même de l’univers.

Les jours alternent avec les nuits, la parole avec le silence, la certitude avec le doute.

Cette alternance rappelle à l’initié que la vérité ne réside pas dans un pôle, mais dans le mouvement entre les deux.

On retrouve ce principe dans la tradition juive : l’étude du Talmud fonctionne par alternance d’arguments opposés, chacun révélant une nuance cachée dans le précédent.

Ainsi, c’est la répétition de l’alternance qui élève la pensée : elle transforme la dualité figée en un dynamisme créateur, et fait naître, entre les extrêmes, l’espace même où l’esprit peut progresser.

« Cette dynamique entre deux pôles trouve un écho puissant dans un poème qui m’accompagne depuis longtemps : If— (SI) de Rudyard Kipling. Toute son architecture repose sur la traversée équilibrée des contraires : confiance et doute, force et retenue, succès et échec. Kipling ne choisit pas un camp ; il montre le chemin du milieu, la capacité de tenir ensemble deux extrêmes sans se laisser dominer par aucun. C’est là, encore une fois, la véritable maîtrise. »

Exemple tiré du Poème.

Si tu peux être dur sans jamais être en rage, Si tu peux être brave et jamais imprudent…

RESSOURCES ET PARALLÈLES AVEC DES TRAVAUX EXISTANTS

Dans plusieurs planches accessibles via des blogs maçonniques, on lit que « le pavé mosaïque est un lieu d’épreuve où l’initié doit marcher avec conscience, apprenant à reconnaître la valeur de chaque pas, qu’il se pose dans le clair ou dans l’obscur ».

Plusieurs auteurs soulignent que la dualité maçonnique est moins un état du monde qu’un instrument d’éveil, comparable aux contrastes utilisés par les peintres pour faire apparaître une forme.

Ces ressources montrent que la dualité n’est qu’une porte d’entrée vers une complexité qui déborde largement ce que l’œil voit ou ce que l’esprit imagine.

LA TRADITION JUIVE : L’ART DU DÉSACCORD CRÉATEUR

La tradition juive offre un éclairage remarquable sur la dualité constructive.

Dans l’étude du Talmud, les élèves doivent souvent défendre une idée… puis l’idée contraire. C’est le Pilpoul, On étudie Hillel contre Shammaï, non pour déterminer qui a raison, mais pour révéler les couches multiples de la vérité.

Dans certains exercices, on demande même à l’étudiant de soutenir une position qu’il ne pense pas être vraie. Le but n’est pas l’adhésion, mais la compréhension.

Ce modèle repose sur trois principes :

La vérité est dynamique, pas statique.

La contradiction n’est pas un obstacle, mais un outil d’accès au sens.

L’échange des arguments crée un espace intermédiaire, un « gris » intellectuel, où naît la sagesse.

Là encore, la dualité visible n’est qu’un point de départ.

La vérité maçonnique, comme la vérité talmudique, n’est jamais donnée : elle se construit entre les opposés.

CONCLUSION

Ainsi, la dualité n’est pas un mur mais une porte, la porte d’entrée, la primaire étape. Les couleurs du pavé mosaïque, noires et blanches, représentent certes les extrêmes, mais le ciment invisible qui les relie est peut-être plus important encore. Il est ce qui permet la construction. Il est ce qui accueille la nuance, la complexité, la profondeur.

Entre les réponses finies — oui, non — s’étend un espace infini de sens possibles.

Entre le visible et l’invisible, il y a simplement des réalités que nous ne sommes pas encore équipés pour percevoir.

La dualité est donc un abîme fertile où se rencontrent les contraires, un espace où l’esprit initiatique apprend à naviguer. Le chemin de l’obscurité vers la lumière est long, probablement infini et éternel, Une fois arrivé à la lumière que je voyais au début de mon chemin, je me rendrais compte que la lumiìere est encore loin et pourrait avec une autre fréquence que je ne percevais pas avant.

En méditant sur la dualité, ses alternances et les nuances invisibles qui lient les contraires, je réalise que ce mouvement ne peut mener qu’à un troisième terme.

Car si deux pôles s’opposent, c’est dans l’espace entre eux — dans le gris, dans l’échange, dans l’alternance — que naît un point d’équilibre.

Cette réflexion m’entraîne naturellement vers une étude plus vaste : celle du chiffre Trois, nombre de la conciliation, de l’harmonie et de l’élévation.

Le Deux divise ; le Trois construit.

C’est pourquoi, à la suite de ce travail sur la dualité, il m’apparaît inéluctable de consacrer une prochaine planche au symbolisme du Trois.